Fais-moi la Causette.

Mercredi, je t’avais dit que je te parlerais de la façon dont j’ai meublé notre nouveau chez nous (ici). Je vais devoir changer le programme : j’ai reçu ce matin un mail qui me touche beaucoup, et dont je dois vraiment te parler. Parce que le sujet ne peut pas attendre. Parce qu’il s’agit de valeurs qui me sont réellement chères. Parce que je pense, profondément, que certaines choses doivent être défendues bec et ongles, avec l’énergie du désespoir si nécessaire. Parce que je porte en moi la certitude que … « it ain’t over till it’s over ».

L’histoire d’un pari

Je vais te parler ici d’un pari un peu fou, lancé un 8 mars, il y a 8 ans. Ce jour-là, où l’on tente de se consacrer à la défense des droits des femmes dans le monde (un jour par an, avoue que ça n’est pas un abus de temps), s’est ouverte une drôle de page dans le paysage médiatique français. Sur un coin de table de cuisine, à l’aide d’un emprunt personnel, une petite équipe un peu dingue a lancé un magazine pas tout à fait comme les autres : Causette.

L’ambition était folle : créer un magazine féminin qui s’adresse au cerveau des femmes. Sans leur vendre de cosmétiques, de vêtements, d’accessoires de mode à chaque page. Sans leur expliquer qu’elles devaient maigrir, et comment. Sans leur dicter ce que devrait être leur coiffure. Sans leur ordonner d’être bien dans leur peau en cumulant un job, des enfants, un couple, en leur donnant en exemple des photos d’hectoplasmes photoshopé.es, d’adolescentes anorexiques ou de célébrités irréelles.

Causette voulait faire ce que personne ne faisait jamais : dire aux femmes qu’elles avaient mieux à recevoir que des consignes de comportement, leur donner à lire des vraies pages, des vrais mots, des vraies réflexions. Cesser de penser à leur place. Poser des questions, tenter de répondre avec elles, et non pour elles.

Causette était un peu gonflée. Elle avait décidé de ne pas se nourrir de publicité, de ne pas y consacrer plus de 10% de ses pages. Parce que Causette pariait sur l’intelligence, la curiosité, la soif de savoir de la moitié de la population. Causette pensait que les femmes méritaient de vraies informations, de vrais reportages, sur des sujets qui les concernaient vraiment. Et que les nuances de fond de teint et les cures d’élimination de la cellulite n’en faisaient partie que parce que personne, jamais, ne leur parlait d’autre chose.

Causette était un peu dingue, toute jeune déjà : elle voulait dire aux femmes que les limites qu’on leur imposait, elles pouvaient les dépasser. Et qu’elle, leur Caupine, allait les y aider.

Causette n’était pas parfaite à sa naissance, et elle a grandi avec ses défauts : comme cette copine accoudée au comptoir un soir, qui boit un verre de trop, et ne chasse pas son naturel parce qu’elle connaît bien ses galops. Elle a fait des erreurs, elle s’est trompée, parfois un peu trop, comme on chante trop fort dans une soirée karaoké (ça sent le vécu, un peu ?). Elle a fait sa crise d’adolescence, comme tout le monde. Elle a connu des ruptures difficiles, s’est engueulée avec la terre entière et sa proche banlieue, elle a eu de l’acné et des périodes de syndrome pré-menstruel pas très drôles à vivre.

Mais elle a aussi engagé des combats – en a gagné certains. Elle a provoqué une enquête ministérielle sur le harcèlement sexuel dans l’armée. Elle a parlé de la reconstruction des femmes qu’on utilise comme des armes de destruction massive en Afrique. Elle a porté des films, des livres, des oeuvres d’art. Elle a mis les candidat.es à l’élection présidentielle sur le grill. Elle a fourni à ma fille quelques unes de ses plus belles lectures enfantines, de celles qui construisent l’intelligence à l’âge où tout est encore possible – à tel point que désormais, quand je lui offre un livre, elle me demande si c’est Causette qui l’a recommandé.

Elle a agi pour abattre des murs invisibles et perfides.

Et puis Causette est devenue adulte. Elle a appris, elle s’est remise en question, elle a compris des choses. Pas toutes, pas parfaitement. La perfection, si tu veux mon avis, c’est la chose la plus morne et sans intérêt du monde … ce truc qui nous laisserait sans plus rien à apprendre.

Ma Causette

Causette, c’est mon amie. Depuis qu’elle existe. De ces amitiés qui s’apprivoisent, qui achoppent, qui ne sont pas calmes. Un peu comme ces filles au lycée que je regardais en espérant qu’un jour elles remarquent mon existence, je me suis mise à la lire. Elle me parlait dans la bonne oreille, j’avais envie d’entendre son propos. Souvent, je la regardais, l’air un peu moqueur, je la posais sur la table en lui disant « tu pousses un peu là, respire ». Mais je lui laissais mon affection, parce que rien ne parvenait à l’éteindre.

A force de la fréquenter, de lui pardonner ses erreurs, j’ai même fini par vouloir l’aider à se construire – et elle a fini par remarquer mon existence. Alors j’ai joint mes efforts aux siens pour créer son Festival. Et pour être honnête, elle m’en a fait baver : je ne me souviens pas d’avoir tant travaillé, depuis que je travaille. Sans relâche, jusqu’à l’épuisement. Parce que Causette fait ça : elle vient te chercher dans tout ce que tu es, elle ne te laisse rien à cacher. Parfois, au fil de ces mois, je lui en ai voulu. Mais je lui en voulais moins que la fierté qu’elle me donnait de participer à quelque chose de vrai, de grand, et d’important selon moi.

Sauver le soldat Causette

Tu me trouves un peu longue aujourd’hui, et tu ne vois pas bien où je veux en venir ?

J’y arrive …

Causette est menacée de disparition. Le seul magazine féminin intelligent, drôle, décalé, indépendant des groupes de presse (détenus par 9 grands industriels qui ont TOUS quelque chose à vendre dans leurs pages), est en danger. Et la maison brûle aussi vite que les vignes californiennes à l’heure où je pose ces mots. L’unique magazine féminin reconnu IPG (Information Politique et Générale, classification attribuée par le ministère de la Culture) est menacé d’extinction.

Je ne sais pas comment tu vis la perte potentielle d’un.e ami.e important.e, moi, j’ai le cœur lourd, tout simplement.

Alors j’ajoute ma toute petite pierre à l’édifice … si tu veux aider Causette, le mode d’emploi et ses options sont ici.

J’ai envie de croire que mon amie sera sauvée.

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