Quand le Jazz est.

« Mon pote Baptiste Trotignon fait un set avec un percu argentin, tu viens ? ». Quand j’ai reçu l’invitation, la réponse est venue en boomerang : ce pianiste est un des plus doués de sa génération, immanquable quand on aime le jazz. Le savoir à Lisbonne et imaginer un instant ne pas y être ? Impossible ! Ce que j’ignorais, c’est que nous nous rendions dans un des lieux mythiques du jazz en Europe : le Hot Clube de Portugal.

Comme un point de rencontre au sud de l’Europe, le Portugal ne porte pas que le Fado, les Azulejos et les pastels de nata. Des ondes cap verdiennes aux notes cubaines, il laisse circuler le jazz sous une lune pleine.

Le Hot Clube de Portugal, au coeur de Lisbonne, y fait jouer les meilleurs musiciens du monde depuis 1948 : il est aujourd’hui le dernier club de jazz du Portugal après avoir été le premier, et une école reconnue où les musiciens viennent affuter leur gammes.

Créé par Luis Villas-Boas, qui, le premier, diffuse le jazz dans le pays, il aura résisté non seulement à la dictature mais encore à un incendie et une inondation, les seconds ayant presque eu raison de lui, pourtant, en décembre 2009.

Hier soir y jouaient donc Baptiste Trotignon et Minino Garay : le premier faisant courir ses mains sur un clavier, le second battant le rythme dans un emportement de percussions folles.

Baptiste Trotignon fait partie de ces exceptions musicales : tombé dans la marmite jazz seul dans l’enfance, il collectionne les prix et aligne les notes sans discontinuer. On pourrait presque se contenter de regarder ses mains sur le clavier, sans même l’entendre, le spectacle est en lui-même fascinant. Une pluie légère ou puissante, jamais lourde. Pas d’erreur, aucune approximation, il est de ces musiciens qui fusionnent avec l’instrument. Ceux qui font naître l’admiration simple et limpide instantanément, et qu’on ne se lasse pas de voir, entendre, percevoir sur la scène.

Minino Garay, lui, fait l’ovni : tout est prétexte à battre le rythme. Ses cordes vocales, son torse, les coquillages accrochés devant lui, un verre sur une table – aucun objet, vivant ou inanimé, n’est ignoré. Il joue des résonnances entre 2 morceaux, entame une séquence avec un triangle comme on ne l’aura jamais entendu, va chercher les creux sonores et les échos frappés, claque ses lèvres ou son pied sur un micro pour créer la profondeur d’un battement.

On aurait pu se contenter de ce set de génies des octaves, les deux stars du jazz se suffisent mutuellement pour faire décoller un public rassemblé dans un lieu légendaire … mais la magie est sans fin : au détour de la scène, on voit apparaître une autre virtuose qu’on n’attendait pas. La musique est ainsi dans cette ville magique : on se croise autour d’une table avant de jouer et on décide d’une improvisation dans la foulée. C’est dans cette séquence qu’est venue se joindre à eux Mayra Andrade, cubaine voyageuse aux influences multiples, qu’on dit digne héritière de l’immense Cesaria Evora. Elle entame un morceau, se laisse noyer dans les sons. C’est qu’elle ne chante pas. Elle vit les sons qui s’expriment de sa gorge, incarne les mots comme une prière millénaire.

Dans une salle où l’on ne contient pas plus de 100 personnes médusées, Lisbonne nous aura portés dans la légende des notes. Ainsi en va-t-il des clubs de jazz qui refusent de disparaître en dépit des circonstances et des chiffres de vente des maisons de disque, ou la musique résiste aux époques et aux modes. Loin des concerts de 15 000 personnes où l’énergie s’arrête aux écrans trop grands, la magie s’y opère simplement, dans un rire comme un clap de fin.

Merci Lisbonne, de m’emporter à chaque instant.

Rendez-vous sur Hellocoton !

2 Comments

Add Yours

Répondre à jérôme Annuler la réponse.