Clichés d’expats et réalité inventée : qui est-on ailleurs ?

Chaque époque emporte sa mode sémantique. Comme s’ils voulaient marquer leur temps, les mots s’instaurent pour distinguer les choses, les faits, les tendances. Dans un monde où rien n’est loin ni long, où l’immédiateté est devenue la règle, les mots se posent comme autant de marqueurs. Des mots qui créent un cadre, définissent des mondes parallèles et pas forcément voisins. Ainsi en va-t-il des « expats » et de leur corollaire, la « communauté ». Méprisée ou jalousée, pourquoi ne l’aime-t-on pas ?

En jetant un œil aux nouvelles du monde (stables et peu réjouissantes), je me suis arrêtée un instant sur l’intervention d’Emmanuel Macron auprès des Députés représentant les « français de l’étranger ». Il y disait son désir de nous faire revenir au bercail, comme le fils prodigue retrouverait les bras de son père. Comme si la maison, vide de ses enfants, se refaisait une beauté pour que le repas de Noël soit l’occasion de retrouvailles merveilleuses, il voulait nous séduire : la communauté expatriée, cette créatrice invétérée, devait revenir et porter son énergie sur le sol national.

Comme on arrive dans un ailleurs …

D’une idée à l’autre, je me suis posé la question : de quoi parle-t-on, en disant « communauté expat » ? Ces deux mots lâchés ensemble, je ne les ai que rarement entendus dans une phrase positive. Ils portent cette vague impression méfiante, pour décrire ceux avec qui on doit compter mais qu’on regarde avec circonspection. Des privilégié.e.s, trop gâté.e.s, que la réalité a quitté.e.s et qui se referment sur elles et eux dans une bulle élitiste. Je me suis surprise à compter le nombre de fois, ces derniers temps, où l’on m’a recommandé fermement de me tenir éloignée de mes concitoyen.ne.s délocalisé.e.s : elles et ils seraient roublard.e.s, traîtres, et ne me mèneraient à rien d’autre qu’à l’amertume, au mieux, à la ruine au pire. Elles et ils me couperaient de ce que je suis venue chercher : l’aventure renouvelée, l’énergie d’un ailleurs.

Curiosité de mes choix : bien que je sois expatriée pour la troisième fois, jamais auparavant je n’ai fréquenté les « expats ». J’étais la Française parmi les autres, avec plus ou moins de bonheur selon les lieux. Au Québec, la « maudite française » était renvoyée presque quotidiennement à la trahison d’un roi faite aux lointain.e.s cousin.e.s, abandonné.e.s dans la neige, vendu.e.s aux anglais comme quantité négligeable. Aux Pays-Bas, je portais la réputation d’une gravure de mode, une « femme fatale » dont le fantasme courait encore comme un rêve auquel on ne renonce jamais tout-à-fait. Dans aucun des deux pays je n’étais en contact avec mes compatriotes, immergée dans ces ailleurs que je voulais explorer.

Notre départ pour le Portugal est bien autre : ce sont des français.e.s qui m’ont transmis le virus Lisboète et qui nous y ont accueillies. Ma Fille est scolarisée au Lycée Français: on ne noie pas un.e enfant de 12 ans dans un environnement dont elle ne maîtrise pas la langue comme on intègre un.e enfant plus jeune, pour qui la langue s’apprend plus rapidement et en y perdant moins de repères. Les données étaient d’ailleurs assez simples : nous ne partirions qu’à la condition d’obtenir une place dans cet établissement, et aucun autre. Par défaut, nous faisons donc partie de cette communauté dont on me dit tant de mal et cette fois, l’intégration à la population locale sera plus longue.

Recréer un paradigme

Les clichés se suivent et se ressemblent, mais rarement pousse-t-on le raisonnement à la compréhension des mécanismes qui l’animent. Et ce sont justement ces ressorts qui m’intéressent aujourd’hui.

Privilégié.e.s ? Les expatrié.e.s le sont par nature : leur départ ne s’est pas fait contraint.e.s et forcé.e.s. Nous ne sommes pas réfugié.e.s, fuyant la mort, la famine, la prison. C’est l’essence même d’un privilège que nous avons fait valoir : la liberté, le luxe du choix. Ce luxe encore exacerbé.e lorsqu’on reste en Europe, au sein de l’espace Schengen, sans avoir à demander l’autorisation de quelque administration que ce soit. Nous y sommes « chez nous » partout, tout en étant invité.e.s. Comme un voisin pourrait décider de venir manger à une table sans même prévenir, vider le garde-manger sans avoir à en solliciter l’autorisation.

Replié.e.s dans une bulle ? Sans doute. C’est probablement le réflexe pavlovien qui nous y mène : on cherche des repères dans une nouvelle vie, et l’on s’appuie sur les éléments offrant du confort. Pouvoir parler notre langue, recevoir l’aide de nos concitoyen.ne.s arrivé.e.s avant nous pour localiser les services administratifs auxquels on devra faire appel, les structures sur lesquelles on devra se reposer, les lieux que l’on pourra découvrir.

Mais je crois injuste de ne dire que ça : si l’on emporte nos travers nationaux avec nous, si l’on se repose sur des bases culturelles communes en arrivant, c’est par défaut.

On part aussi pour recréer, réinventer un monde. Et c’est une des caractéristiques que je trouve, jour après jour, parmi mes compatriotes. L’énergie de création existe, les projets naissent, la légèreté de l’initiative qui me manquait tant « à la maison ». Ici comme ailleurs, notre passeport nous lie. Quand en France, on louvoie pour trouver l’interlocuteur dont on a besoin pour initier une nouvelle page, ailleurs, le mouvement se fait sans frein. Il suffit de demander à qui on devrait parler pour obtenir un nom et des coordonnées, parfois même, il suffit d’exposer la recherche, la réponse vient instantanément.

La « communauté expat » est aussi celle-là, qui génère ce qu’on ne pouvait plus espérer chez nous : elle est ailleurs par choix, son naturel galope. Elle invente par essence et fait disparaître les freins inutiles pour se concentrer sur le sujet.

Serai-je déçue par naïveté ? Peut-être. Mais je ne suis pas partie pour vivre dans les mêmes carcans que ceux qui m’empêchaient de respirer. Et pour vivre une aventure à sa pleine mesure, c’est bien le moindre des risques à prendre.

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