Les trésors de la Loiça de Sacavèm

Un changement de vie, c’est une série de modifications dont les habitudes de consommation font partie. Un peu par force quand on change de pays (trouver une bonne baguette à Lisbonne est à peu près aussi simple que trouver un bocal de sour cream à Paris), c’est aussi l’occasion de belles découvertes qui n’attendent que notre curiosité pour livrer leurs secrets : l’une d’elle s’est trouvée dans mes acquisitions de vaisselle, qui me font voyager dans le temps. Embarque avec moi, je t’emmène dans un village portugais au XIXème siècle !

fabrica de sacavem

Comme je te le disais ici, j’ai laissé la quasi-totalité de mes biens en France. Et si la décision était évidemment guidée par des motivations économiques, elle était aussi le résultat d’une autre envie profonde, bien plus ancrée dans mes valeurs : la fatigue d’une consommation effrénée et vaine, dans laquelle je me sentais glisser. C’est donc à la faveur de notre déménagement que j’ai pris la décision de réduire notre rééquipement en objets neufs à sa plus simple expression.

La chasse bicentenaire

Une des applications de ce nouveau principe : la vaisselle ! En grande briseuse de verres (pour cause de mains glissantes, à l’insu de mon plein gré), j’avais l’habitude de l’acheter dans des grandes surfaces de décoration (avec des noms finissant en « A »). Pas chère, pratique, cette vaisselle là pouvait bien décider de s’échapper de mes mains … je la remplaçais illico. Forte de mes nouveaux choix de vie, j’ai donc fait un mouvement inverse, et c’est l’occasion d’une chasse un peu particulière et de sa découverte assortie : la Loiça de Sacavèm.

Il faut être honnête, j’étais prête à céder ce sur point et m’embarquer pour le remplissage habituel de séries bon marché et faussement « design ». J’avais déjà trouvé la majorité des meubles dans une association caritative (dont je te parlerai cette semaine) pour une somme dérisoire, me restait à acheter un canapé convertible (obligatoire pour les visites qui s’annoncent nombreuses et régulières) et de la vaisselle.

C’est donc un joli hasard qui m’a portée vers ma nouvelle collection : la Feira da Ladra – le « marché aux voleuses », le plus connu des marchés aux puces de Lisbonne.

Comme dans n’importe quel marché aux puces, on y trouve tout et n’importe quoi : des ampoules, des jouets, des pinces à linge, des tableaux et affiches, des tubes de colle et mille autres objets plus ou moins utiles à l’esthétique subjective … et de temps en temps, quand on regarde bien, des assiettes du XIXème siècle de cette usine portugaise de porcelaine, aujourd’hui disparue.

Point historique

Placée stratégiquement sur la ligne de chemin de fer reliant Lisbonne à Born, la petite ville de Sacavèm est la terre d’élection de Manuel Joaquin Alfonso pour la création d’une usine de porcelaine et vaisselle, à une date située entre 1850 et 1856 (les avis semblent varier sur la question). Le fondateur, face à des difficultés financières, la vend à John Stott Howorth entre 1861 et 1863 : ce dernier y appliquera des méthodes de production brittaniques qui porteront la production de vaisselle de kaolin à leur zénith. Le nouveau propriétaire en sera même anobli par le roi D. Louis I et deviendra le Baron de Howorth de Sacavèm. L’usine fabriquera ainsi des pièces uniques pour la famille royale, et l’usine jouira du privilège du nom de Real Fabrica de Loiça de Sacavèm.

Cette unité de production se développera de façon spectaculaire jusqu’en 1974 – devenant un des plus importants centres de production industrielle du pays, elle centralisera la moitié des emplois de la région de Sacavèm durant de nombreuses années, exportera ses collections vers le Royaume Uni en battant sa concurrence locale et sera un modèle de modernité technologique (comme en témoigne le four installé en 1912, aux dimensions colossales : 85 mètres de longueur sur 8 mètres de hauteur).

Si elle est un symbole de l’industrialisation du Portugal, elle porte aussi les méthodes de gestion britanniques dans ses progrès sociaux : école et centre de formation au sein de l’usine, congés payés, camps de vacances pour les enfants de ses ouvriers sont autant d’innovations sociales que le pays n’avait pas connues jusqu’alors.

Il n’est donc pas surprenant que l’usine ait ainsi été le lieu de résistances marquées durant la dictature de Salazar, et de répressions conséquentes : l’épisode fameux des apprentis de l’usine, devenus grévistes, accompagnés de leurs mères et épouses sera le théâtre d’arrestations politiques nombreuses, et révèlera plusieurs héros de la résistance anti-fasciste.

Elle finira par fermer en 1983 après une décennie de déclin – ne laissant pour son souvenir sur les lieux que le musée retraçant son histoire.

Repérer les trésors

Comme tout objet ayant marqué l’histoire d’un pays, on trouve bien entendu de nombreuses copies plus ou moins adroites de cette précieuse vaisselle. Pour ne pas se tromper, 2 repères sont cardinaux : le tampon et la gravure, que l’on trouve au dos des assiettes. C’est donc sur eux que je me concentre en priorité, après avoir vérifié que les pièces exposées portent quelques marques du temps passé : une assiette parfaite, au vernis impeccable et sans la moindre rayure n’est évidemment pas authentique (j’ai même vu des pièces dont le vernis avait été artificiellement craquelé … il faut donc ouvrir l’œil, et le bon !).

A ce stade, en un mois de chasse, j’ai réussi à en trouver cinq (quatre vertes, et une rouge), il me faudra donc du temps pour reconstituer de quoi recevoir … mais le plaisir de la recherche mérite ma patience !

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