Le nid, une brindille à la fois!

Partir pour reconstruire une vie ailleurs, c’est provoquer la chance plutôt que de l’attendre, le nez collé à la vitre. C’est aussi prendre le temps de réévaluer les bases, saisir l’opportunité de faire correspondre l’esprit et la lettre. C’est avec cette idée que j’ai meublé notre nid lusophone : le « walk the talk »* de notre expérience, indispensable étape sur le chemin du renouveau.

Je t’ai parlé de notre déménagement volontairement réduit : partir à presque 2000 km demande un peu de pragmatisme, surtout lorsqu’on a charge d’âme à scolariser, vêtir, nourrir, cultiver – et que l’héritage auquel on ne croyait plus depuis longtemps correspond à l’idée qu’on s’en faisait … inexistant. Notre installation à Lisbonne s’est donc faite dans un appartement magnifique au parquet centenaire, nous offrant une vue fantasmagorique sur le Tage, mais … quasiment vide.

J’avais emmené le strict minimum en matière de meubles : nous avions des lits, et des portants pour pendre nos vêtement. Pas de table, pas de chaises, pas de canapé. Il fallait donc que je trouve tout le mobilier de remplacement rapidement, sous peine de nous condamner à prendre nos repas sur le sol et entamer une dépression pour cause de réclusion sur nos lits.

Au fil des conversations, la solution évidente à tous.tes était de faire un tour dans un hangar bleu à la signalétique jaune, de remplir un camion de meubles standardisés et faussement créatifs, et d’attaquer la phase de l’impossible montage des emplettes. Le côté pratique, évident, rendait la chose tentante : le succès de ladite marque en atteste. Qui résisterait à un intérieur de catalogue, ajouté à quelques ustensiles qu’on juge indispensables alors qu’on s’en est parfaitement passé.e jusqu’alors ?

Evaluer les paradigmes

C’eut été ignorer tout le cheminement qui nous avait mené.es, ma fille, notre féline compagnie et moi, à faire nos valises. Je le dis plus ou moins clairement depuis que j’ai commencé à te raconter notre émigration : partir est une décision prise au cours d’un processus de réflexion (le départ en étant, nous concernant, une des étapes et non l’aboutissement). Quelle qu’en soit la longueur (la notre paraît courte à nombre de mes ami.es), ce processus met en lumière bien plus qu’une envie d’ailleurs de carte postale. Il résulte d’un besoin profond de changement de direction dans lequel les détails prennent une réelle importance.

Parmi ces détails, donc, nos modes de consommation figuraient en bonne place. Il fallait allier un budget limité à mon besoin de ne plus céder aux sirènes frénétiques de la nouveauté systématique, des collections qui se suivent et se ressemblent comme on emplit un puit sans fond. Il était question de penser nos achats dans leur globalité : chacun emporte une série d’impacts invisibles.

Qui fabrique, dans quelles conditions, avec quels matériaux, et pour quelle durée de vie, avec quel impact écologique? Qui distribue, à quel profit, dans quel confort social?

Tu me diras que tu ne peux pas te poser ces questions systématiquement : moi non plus ! Notamment quand il s’agit d’habiller ma préado, à un âge ou le besoin d’appartenance et de reconnaissance passe par la mode, j’ai peu d’options et sacrifie aux grandes enseignes, la conscience trouble – les options éthiques, quand on doit renouveler la totalité des vêtements et chaussures sur une base bisannuelle, étant à la fois peu nombreuses et onéreuses.

Il est cependant des domaines dans lesquels on peut agir : le mobilier en est un.

Le modèle Emmaüs …

Comme dans tous les domaines, si tu projettes de partir, la clé sera dans la planification. Il ne s’agira pas de penser à tout mais de garantir l’essentiel : se loger assez confortablement en étant un exemple évident, son corollaire, vivre dans un intérieur te donnant un sentiment de sécurité, le suivant immédiatement.

Mon Amoureux et moi avions donc inclus ce paramètre dans notre visite de repérage. Nous avions bien entendu en tête la solution de repli suédoise en cas d’échec, mais avions à l’idée de débusquer les brocanteurs et marchés aux puces qui nous permettraient d’y échapper. J’avais donc cherché à savoir si Emmaüs, dont les activités ne se situent pas qu’en France, avait investi le Portugal, et étais confrontée à un point d’organisation : sans voiture (ni permis de conduire, un point à évoquer plus tard), je ne pouvais pas me rendre facilement à leur unique point de vente, situé à quelques dizaines de kilomètres de Lisbonne. Il fallait donc trouver une alternative.

Ce fut chose faite au cours d’un apéro prolongé dans un jardin : une des participantes (par ailleurs heureuse propriétaire d’une plage privée idyllique où nous nous rendons régulièrement : le Posto 9) nous indiqua l’endroit de nos rêves : REMAR.

… pour penser l’économie sociale et solidaire

Agissant dans le tout le Portugal puis dans plus de 70 pays, REMAR est une association catholique fondée en 1989. Comme Emmaüs, elle se donne pour objectif de porter assistance aux personnes en situation d’exclusion, incluant des programmes d’aide aux toxicomanes. Des centres d’accueil aux fermes pédagogiques, des campagnes de sensibilisation aux programmes de réinsertion, l’association soutient les populations fragilisées partout où elle le peut.

A Lisbonne plus particulièrement, la structure dispose d’un espace de plusieurs centaines (milliers ?) de mètres carrés destiné à la revente de meubles issus de dons. On y trouve une variété impressionnante d’objets : tables, chaises, lits, matelas, canapés, buffets, étagères, bureaux et guéridons en tous genres … en état plus ou moins bon, et parfois neuf. Les fonds ainsi récoltés permettent de fournir un emploi aux personnels gérant l’endroit, et de financer un certain nombre d’actions solidaires.

C’est ainsi que notre nid a été meublé … pour la somme exacte de 240 euros : une table, 4 chaises, un buffet années 30 (tu vois l’expression hystérique de ma satisfaction à la vue quotidienne de ce bijou Art Déco ?), un bureau et une étagère gigantesque de préado. Certaines pièces auront besoin d’amour pour retrouver leur lustre d’antan, mais me fournissent déjà plusieurs bonheurs :

– Avoir contribué à aider ceux, sur notre terre d’accueil, qui n’ont pas le luxe de rêver à autre chose qu’à leur survie quotidienne et luttent pour y parvenir

– Ne pas consommer de biens produits avec des matières issues de forêts surexploitées, mettant en danger les écosystèmes locaux

– Limiter l’empreinte carbone générée par les transports des marchandises

Comme le dit la chanson … « c’est peut-être un détail pour vous » …dans mon monde idéal, rien d’autre n’existerait que cette chaine de solidarité, ne laissant aucun.e d’entre nous sur le bord de la route, tout en préservant  l’environnement d’une surconsommation néfaste. Le réalisme m’oblige à faire un pas après l’autre, en espérant que mon impact négatif en soit au moins réduit.

Et toi, si tu devais repenser ta consommation, par quoi commencerais-tu ?

 

*Littéralement : « marcher la parole ». Expression anglophone traduisant l’idée de faire suivre les actes aux paroles, d’agir selon le discours.

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